Partager la publication "Microplastiques dans la cuisine : ce que vos ustensiles libèrent vraiment"
On parle beaucoup des microplastiques dans l’eau et les aliments, mais une étude scientifique récente (1) révèle une source insoupçonnée : nos propres cuisines. Planches à découper, boîtes de conservation passées au micro-ondes, poêles antiadhésives rayées ou éponges usées… Tous ces objets libèrent des particules invisibles qui peuvent finir dans nos assiettes. Voici ce que disent les chercheurs, et ce que cela change pour notre quotidien.
Les planches à découper : une source insoupçonnée de microplastiques
Couper des aliments sur une planche en plastique n’a rien d’anodin. Les chercheurs ont montré que le simple geste du couteau arrache de minuscules fragments de plastique à chaque utilisation. Dans leurs expériences, cela pouvait représenter des milliers de particules après seulement quelques cycles de coupe. La matière joue un rôle : les planches en polypropylène semblaient libérer un peu plus de particules que celles en polyéthylène, même si la différence n’était pas assez nette pour être considérée comme significative scientifiquement.
Un détail frappant : couper une carotte sur une planche en plastique a presque triplé la libération de particules par rapport au fait de couper “à vide”. La raison est simple : pour trancher le légume, le couteau s’enfonce plus profondément dans la surface, emportant avec lui de petits morceaux de plastique. En extrapolant, les auteurs estiment qu’une seule planche en polyéthylène pourrait libérer entre 7 et 50 grammes de microplastiques par an dans le cadre d’un usage domestique.
L’état de la planche change aussi la donne. Plus elle est rayée ou abîmée, plus elle cède facilement. Dans des tests, une simple rayure pouvait libérer 100 à 300 particules par millimètre de coupe, et une zone déjà marquée jusqu’à 3000 particules par millimètre carré. Sur le terrain, dans des supermarchés et boucheries utilisant des planches en plastique, des morceaux de viande et de poisson ont été retrouvés avec 1 à 7 particules de plastique par gramme, et parfois beaucoup plus (jusqu’à 70 par gramme) dans les résidus de découpe en fin de journée. À titre de comparaison, les mêmes aliments préparés sur une planche en bambou ou avec un hachoir métallique ne montraient aucune particule détectable. Le simple fait de rincer la viande réduisait la charge de microplastiques, mais ne la supprimait pas complètement.
D’autres ustensiles aussi concernés
Les planches ne sont pas les seules en cause. Les bols en plastique utilisés avec un batteur peuvent aussi libérer des particules, surtout si on y ajoute des ingrédients durs ou abrasifs, comme du sel. La chaleur peut également jouer un rôle : des analyses ont montré qu’à 200–250 °C, certains plastiques libéraient des substances chimiques, notamment la mélamine, connue pour dégager du formaldéhyde, un composé toxique, lorsqu’elle est chauffée à haute température.
Enfin, l’usure des ustensiles compte beaucoup. Des cuillères ou spatules en plastique anciennes, rayées ou ternies par la chaleur libèrent bien plus de microplastiques que du matériel neuf ou que des alternatives non plastiques. De plus, certains ustensiles en résine mélamine-formaldéhyde, lorsqu’ils sont soumis à une stérilisation UV prolongée, relarguent davantage d’additifs chimiques. Selon les chercheurs, les risques restent faibles dans un usage domestique classique, mais une exposition répétée à ce type de conditions pourrait poser problème.
Concrètement, cela veut dire qu’il est préférable de :
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remplacer les planches très rayées,
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privilégier des matériaux alternatifs comme le bois ou le bambou pour certaines découpes,
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éviter d’utiliser des ustensiles en plastique trop anciens ou abîmés,
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et ne pas exposer inutilement certains objets (comme ceux en mélamine) à une chaleur excessive ou à des UV prolongés.
Ces petits gestes ne suppriment pas totalement l’exposition, mais ils permettent de la réduire considérablement dans le quotidien.
Boîtes de conservation : le piège du micro-ondes
Les boîtes en plastique que l’on utilise pour conserver ou réchauffer les aliments ne sont pas toutes équivalentes. Certaines, comme celles en polystyrène, sont plus souples et leur surface est souvent un peu rugueuse. Avec le temps, elles développent des microfissures invisibles qui facilitent le détachement de petites particules de plastique.
La chaleur accentue fortement ce phénomène. Lorsqu’on place une boîte en plastique (par exemple en polypropylène) au micro-ondes, elle peut relâcher des millions de particules par centimètre carré après quelques cycles de chauffe. À l’inverse, les mêmes contenants stockés au réfrigérateur ou à température ambiante libèrent beaucoup moins de particules (des centaines de milliers seulement).
Le type d’aliment joue aussi : des préparations acides (comme une sauce tomate ou un plat vinaigré) favorisent davantage la libération de microplastiques que de l’eau ou des aliments neutres. Enfin, l’âge du récipient est déterminant : une boîte déjà rayée, ternie ou abîmée laisse s’échapper plus de particules qu’un contenant neuf.
Dans la vie quotidienne, cela signifie que réchauffer directement ses repas dans une boîte plastique au micro-ondes n’est pas idéal. Mieux vaut transférer le plat dans un récipient en verre ou en céramique. Et si vos boîtes commencent à être fissurées ou opaques, il est temps de les remplacer.
Poêles antiadhésives : pratiques mais fragiles
Les poêles recouvertes de Téflon (PTFE) sont appréciées parce qu’elles empêchent les aliments d’accrocher. Mais ce revêtement est en réalité assez sensible. Dès qu’il est griffé ou frotté, il peut libérer des particules de plastique invisibles. Par exemple, des tests ont montré qu’un simple morceau de Téflon écaillé pouvait relâcher jusqu’à 2,3 millions de particules, et qu’une rayure sur la surface en libérait déjà plusieurs milliers. Le plus surprenant est que même des ustensiles réputés doux, comme un fouet en silicone, peuvent détacher des particules sur une poêle neuve. Cela ne veut pas dire que le silicone est dangereux, mais que le revêtement antiadhésif lui-même est très vulnérable.
La chaleur joue aussi un rôle : au-delà de 350 °C, le Téflon ne libère pas seulement des microplastiques, il peut aussi produire des fumées toxiques. C’est un autre type de risque, distinct des particules solides. Enfin, les méthodes de cuisson influencent la libération : les fritures longues à la poêle génèrent plus de particules que la cuisson au four.
Dans la vie de tous les jours, cela signifie qu’il vaut mieux éviter les ustensiles métalliques (cuillères, pinces, tampons à récurer) qui abîment le revêtement, remplacer les poêles dès qu’elles sont écaillées ou rayées, et maîtriser la température de cuisson pour ne pas les surchauffer. Mais la meilleure astuce consiste à vous équiper de poêles en inox, en fonte ou en céramique inertes.
Éponges et chiffons : des alliés du ménage qui relâchent des particules
Le nettoyage en cuisine repose toujours sur le frottement : on gratte une assiette, on frotte une casserole, on essuie un plan de travail. Mais ce geste mécanique, aussi banal soit-il, peut provoquer un phénomène invisible : les éponges et chiffons en plastique perdent de minuscules fragments au contact des surfaces.
Des tests réalisés sur des éponges à deux faces montrent que la partie dite « douce », faite en nylon, libère de petites particules lorsqu’elle frotte des surfaces lisses, comme une assiette ou un verre. Quant à la face abrasive, composée de polyester (PET), elle perd encore plus de particules lorsqu’elle s’attaque à des surfaces dures comme les couteaux ou les fourchettes.
Le problème s’aggrave avec le temps : plus une éponge est vieille et usée, plus sa structure interne se fragilise et plus elle libère de microplastiques. Les chiffons microfibres, très répandus pour essuyer les plans de travail ou les plaques de cuisson, n’ont pas encore été étudiés précisément dans ce contexte. Mais comme ils sont fabriqués à partir de fibres synthétiques (polyester ou polyamide), il est très probable qu’eux aussi libèrent des fibres microscopiques lorsqu’ils frottent les surfaces.
Enfin, les chercheurs soulignent un point de vigilance : les produits ménagers eux-mêmes, notamment ceux qui contiennent des agents abrasifs ou dégraissants puissants, pourraient accentuer ce phénomène en fragilisant encore plus les matériaux plastiques.
Dans la vie quotidienne, cela veut dire qu’il est préférable de remplacer régulièrement les éponges usées, de varier les outils (par exemple alterner avec des brosses en fibres naturelles) et de ne pas frotter trop vigoureusement avec des produits trop agressifs, surtout sur des surfaces déjà fragiles.
Attention aux films alimentaires
Les chercheurs ont observé que les films alimentaires en plastique (polyéthylène), lorsqu’ils étaient exposés à des températures élevées (entre 50 et 95 °C), relâchaient de minuscules particules de plastique aux formes irrégulières. En clair, la chaleur fragilise la surface du film, qui peut alors s’écailler et libérer de petits fragments invisibles à l’œil nu. Ce phénomène est accentué si le film est déjà un peu abîmé, avec de fines craquelures dues à l’usage ou au vieillissement. Concrètement, cela signifie que réchauffer régulièrement des plats recouverts de film plastique, par exemple au micro-ondes ou au bain-marie, peut favoriser le passage de microplastiques dans les aliments.
Dans la vie quotidienne, ce constat invite à une certaine prudence : si vous devez chauffer des restes, mieux vaut retirer le film plastique et utiliser un couvercle en verre, en céramique ou même une simple assiette posée sur le plat. Le film peut rester utile pour protéger les aliments au réfrigérateur, mais il vaut mieux éviter de l’exposer à la chaleur.
Bouilloires, blenders… et la lessive dans la cuisine
Les bouilloires en plastique ne sont pas totalement neutres : lorsqu’on fait bouillir de l’eau, elles peuvent relâcher de très fines particules de plastique. Cependant, les chercheurs ont observé un phénomène intéressant appelé « passivation naturelle ». Avec le temps, des dépôts minéraux issus de l’eau (comme le calcaire) se forment à l’intérieur de la bouilloire et agissent comme une sorte de barrière protectrice, ce qui réduit la libération de microplastiques. En revanche, des expériences où l’eau était portée à ébullition pendant plusieurs heures ont montré une augmentation de métaux lourds(aluminium, arsenic, cadmium, plomb) dans l’eau, que ce soit avec une bouilloire en plastique ou une casserole recouverte de Téflon. Bien sûr, on ne fait pas bouillir de l’eau aussi longtemps dans un usage domestique, mais cela illustre que plus la chauffe est prolongée, plus le risque de migration de substances augmente.
Les blenders représentent une autre source potentielle : mixer de la glace pendant seulement 30 secondes peut libérer entre 260 000 et 360 000 particules de plastique dans le mélange. Tout dépend du matériau du bol, de la vitesse de rotation, de la forme des lames et même de la dureté ou de la température de l’aliment mixé. Autrement dit, un smoothie avec des glaçons ne génère pas le même type de contact qu’une soupe chaude de légumes.
Enfin, dans certains pays, les machines à laver et sèche-linge sont installés directement dans la cuisine. Or, ces appareils libèrent des microfibres textiles (issues des vêtements et tissus), qui ne partent pas seulement avec l’eau usée mais peuvent aussi se déposer dans l’air et sur les surfaces. Ces fibres sont si petites (5 à 250 micromètres) qu’elles peuvent être inhalées. Leur dépôt dans la cuisine augmente donc le risque d’en retrouver sur le plan de travail ou dans les aliments préparés. Les chercheurs suggèrent qu’une solution simple consiste à placer ces appareils dans une autre pièce lorsque c’est possible, pour limiter l’exposition quotidienne.
À la maison, il est préférable d’éviter de faire bouillir l’eau trop longtemps ou alors d’opter pour une version en inox, de laisser la bouilloire s’entartrer légèrement (ces dépôts limitent en partie la libération de particules), et, si possible, de garder la machine à laver et le sèche-linge éloignés de la cuisine ou du plan de travail.
(1) Référence de l’étude : Snekkevik VK, Cole M, Gomiero A, Haave M, Khan FR, Lusher AL. Beyond the food on your plate: Investigating sources of microplastic contamination in home kitchens. Heliyon. 2024 Jul 24; 10(15): e35022. doi: 10.1016/j.heliyon.2024.e35022. PMID: 39170486 ; PMCID: PMC11336334.